Dans une temporalité linéaire — « la ligne du voyage […] de la vie » selon la métaphore de Lacan dans le Séminaire 21 (séances du 13/11/1973 et du 20/11/1973) —, l’intervalle de la vie correspond à l’intervalle de temps, délimité par les deux bornes de la naissance et de la mort, pendant lequel le sujet barré peut agir sur les signifiants dans la structure.
Avant sa naissance (et même avant sa conception), le sujet est déjà représenté par des signifiants qui le citent dans le discours des parents et des autres personnes. Les signifiants expriment des attentes, alors que le sujet n’est pas encore né ; ils portent des projets, des espérances, ou bien des prédictions comme dans le cas d’Œdipe. Mais, le sujet n’étant pas là, il n’a pas lui-même de lien avec ces signifiants que manipulent les autres.
Événement de la naissance
Pour le sujet, la naissance est un événement réel, ce n’est pas un acte : elle survient et détermine le début de la vie.
L’intervalle de la vie coïncide avec l’ex-sistence du sujet barré — c’est-à-dire son aliénation à la structure du langage. Pendant sa vie, le sujet vogue dans l’inter-signifiance. Il se sert des signifiants pour les interactions avec les autres sujets représentés eux aussi par des signifiants. Il répète l’acte de coupure, et il mène sa vie publique en agissant sur les signifiants qui le représentent — c’est l’acte de séparation. Le sujet assume ce qui est porté par les signifiants et qui leur a été assigné avant sa naissance par les parents ou les autres personnes. Cela peut être des promesses de succès lui apportant un environnement privilégié pour son avenir social, mais cela peut aussi être des signifiants de rejet.
Événement de la mort
De même que la naissance est un événement d’arrivée à la vie, de même la sortie de la vie est un événement de passage — par exemple, dans la mythologie grecque, la traversée menant aux territoires légendaires du royaume des morts imposait un franchissement sans retour interdit aux vivants.
Les êtres humains parlent de la mort pendant leur vie. Ils peuvent même la provoquer. Par contre, le savoir du signifiant ne leur procure aucune compétence sur le réel de la mort.
Réel de la naissance et de la mort
Pour l’entrée ou bien pour la sortie de la vie, le réel de la naissance et celui de la mort se situent au-delà de l’espace de coexistence entre le sujet et le signifiant : « ils n’ont pas de solution dans le domaine du signifiant ».
Selon les termes de la topologie mathématique, l’intervalle de la vie est un intervalle ouvert (ne contenant pas ses bornes) : ] naissance, première division, … vie … , seconde mort, mort [. En effet, du point de vue de l’ex-sistence dans l’ordre symbolique, l’intervalle de la vie se trouve strictement délimité par la « première division » et la « seconde mort ».
Immortalité du signifiant
Après la mort, les signifiants restent aux mains des autres ; le sujet ne peut plus agir sur eux. Le sujet n’ex-siste plus dans la structure du langage, mais il continue à être représenté par des signifiants dans les discours de la foule. Nous pouvons parler de Sophocle, de Descartes, de Bach, de Mozart, de Sartre, … mais eux ne nous parlent plus sauf à travers leurs œuvres — c’est-à-dire leurs productions signifiantes dans l’ordre symbolique.
Avant la naissance et après la mort, le sujet ne se trouve que dans ce qui se dit de lui via le signifiant qui est immortel. L’immortalité du signifiant, c’est simplement l’immortalité de l’âme telle que la racontent les fables sur la condition humaine.
Immortalité du signifiant
Références
Écrits : [page 520] […] la névrose est une question que l’être pose pour le sujet « de là où il était avant que le sujet vint au monde ».
Séminaire 3 : [page 215] La question de la mort, celle de la naissance, sont en effet les deux dernières qui n’ont justement pas de solution dans le signifiant.
Séminaire 13 : [séance du 19/01/1966] La vérité […] étant ici à repérer […] comme la question sur le rapport le plus essentiel au sujet, à savoir son rapport à la naissance et à la mort en tant que tout ce qui est de lui est dans leur intervalle.
Séminaire 15 : [séance du 20/03/1968] Supposez par exemple que mon enseignement, à savoir ce qui peut passer pour être pensé, n’ait — comme c’est arrivé déjà à beaucoup de gens, et d’une autre ampleur que moi — aucune suite. Il restera des petites choses comme ça.
