Champ du langage

Surface signifiante

La structure signifiante constitue le champ du langage — on dit aussi le réseau, la texture, ou le tissu signifiant pour illustrer l’enchevêtrement des signifiants et des relations. Le champ du langage se présente comme une « surface » permettant aux relations de s’établir à deux dimensions (… ou plus …), c’est-à-dire de manière synchronique par opposition à la linéarité d’une seule dimension. La synchronie qualifie la simultanéité des déplacements au niveau de la surface signifiante.

La « portée musicale » citée par Lacan fournit une bonne image du champ du langage.

Chaîne signifiante

De même, la chaîne signifiante ne se réduit pas à un processus séquentiel. Au contraire, en tant que « signifiante », la diachronie de la chaîne signifiante se déroule sur la surface du langage qui autorise les déplacements synchroniques. Le discours prononcé vagabonde, parfois dans l’urgence ou parfois en flânant, sur une prairie de signifiants. Par conséquent, les signifiants d’une chaîne signifiante ne sont pas en relation seulement avec les autres signifiants de la chaîne, mais aussi avec tous les signifiants présents à la surface du langage qui peuvent, occasionnellement ou systématiquement, se substituer ou bien s’intercaler dans la chaîne alors que la nature de ces permutations n’est pas définie a priori par la chaîne signifiante elle-même. La métaphore montre un exemple de substitution signifiante qui vient remplacer de façon inopinée un élément de la chaîne par un élément provenant de la « batterie signifiante » disponible à la surface du langage.

Les jalons d’apparition du sens dans la chaîne signifiante sont marqués par les « points de capiton ».

Structure signifiante synchronique et chaîne signifiante diachronique

Synchronie et diachronie

Références

Séminaire 5 : [page 31] […] dans tout acte de langage, si la dimension diachronique est essentielle, une synchronie est aussi impliquée, évoquée, par la possibilité permanente de substitution inhérente à chacun des termes du signifiant.

Séminaire 6 : [séance du 12/11/1958] […] la chaîne signifiante […] structure fondamentale, soumet toute manifestation du langage à la condition d’être réglée par une succession, autrement dit par une diachronie […] Nous laissons de côté les propriétés temporelles […] Ici les choses se résument à la notion de la succession […] notion de scansion […] Le signifiant se définit […] d’un système d’opposition signifiante […] qui implique du même coup et en même temps une certaine synchronie des signifiants […] à savoir l’existence d’une certaine batterie signifiante […]

Séminaire 12 : [séance du 09/12/1964] […] c’est que cette structure linéaire n’est point suffisante pour rendre compte de la chaîne du discours concret, de la chaîne signifiante, que nous ne pouvons l’ordonner, l’accorder que sous la forme que l’on appelle dans l’écriture musicale une portée […] c’est là quelque chose qui nous oblige à la considération de la surface […] cette portée sur laquelle il convient d’inscrire toute unité de signifiant […]


Point de capiton

S’inspirant des métiers de la couture et de la tapisserie, Lacan leur a emprunté le terme de point de capiton pour indiquer les moments d’apparition du sens dans la parole ou bien dans le discours.

L’approche de Lacan s’avère plus subtile que la banale production d’une signification par « épinglage » entre deux flots parallèles du signifiant et du signifié, au gré d’une progression linéaire de la phrase jusqu’à son point final. Dans le modèle lacanien, les points de capiton se répartissent sur l’étendue d’une étoffe, et non le long d’une ficelle : pour les comprendre, il faut se figurer la surface signifiante comme une toile capitonnée — par exemple, un matelas — ou bien comme une porte capitonnée. Les points de capiton viennent « percer » la texture du langage (de même que le tissu ou le cuir, mais pas de façon régulière) pour marquer les points d’accrochage du glissement de la diachronie par rapport à la synchronie qui sous-tend son parcours.

D’un point de vue temporel, les points de capiton posent les jalons qui balisent la création du sens. Par conséquent, selon le modèle lacanien du point de capiton, des chaînes signifiantes comme les phrases interrompues ou bien la logorrhée continuelle — qui surviennent par exemple fréquemment lors des psychoses — ont elles aussi des épisodes de sens, puisque celui-ci résulte de l’intrusion des éléments de la « batterie signifiante » dans la diachronie qui chemine sur le champ du langage, sans devoir dépendre d’une fin de phrase qui n’arrivera peut-être pas.

Le point de capiton accroche le glissement du sens

Jalons d’apparition du sens

Références

Écrits : [page 805] Ce point de capiton, trouvez-en la fonction diachronique dans la phrase, pour autant qu’elle ne boucle sa signification qu’avec son dernier terme […] Mais la structure synchronique est plus cachée […]

Séminaire 5 : [page 196] L’épinglage dont je parle, le point de capiton, n’est qu’une affaire mythique, car personne n’a jamais pu épingler une signification à un signifiant. En revanche, ce que l’on peut faire, c’est épingler un signifiant à un signifiant et voir ce que cela donne.


« Lalangue »

Il ne faut pas confondre les langues — qui sont parlées —, et le langage qui est une structure abstraite à partir de laquelle s’instancient les langues.

Le langage ne se résume pas à un registre de mots dénotant l’essence des choses. Quand nous utilisons des mots pour communiquer, nous employons une instance concrète de langage que Lacan appelle « lalangue ».

Il y a bien sûr une « très grande variété » de formes de lalangue, ayant toutes en commun d’avoir une structure de langage, et possédant chacune leur propre instanciation des « traits communs » définis par le langage en tant qu’abstraction. Par exemple, la langue maternelle de chacun est une forme de lalangue qui n’est pas la même pour tous, alors que le langage joue universellement un rôle de structure signifiante pour tous les sujets humains. Chaque variante de lalangue est un recueil concret de mots porteurs de significations, et chacune détient sa propre batterie d’expressions : à titre illustratif, un exemplaire de jeu de mots est généralement valide dans une seule instance de lalangue.

Emploi concret de « lalangue »

Emploi concret de « lalangue »

Références

Séminaire 13 : [séance du 15/12/1965] […] faire de l’écriture un instrument de ce qui serait, vivrait, dans la parole, est absolument méconnaître sa véritable fonction.

Séminaire 18 : [séance du 10/03/1971] […] si l’écriture, ça peut servir à quelque chose, c’est justement que c’est différent de la parole, de la parole qui peut « s’appuyer sur ».

Séminaire 19 : [séance du 04/11/1971] […] si je parle de langage, c’est parce qu’il s’agit de traits communs à se rencontrer dans « lalangue », « lalangue » étant elle-même sujette à une très grande variété, il y a pourtant des constantes.

Séminaire 20 : [page 44] La grammaire est ce qui ne se révèle du langage qu’à l’écrit.

Séminaire 21 : [séance du 08/01/1974] […] le langage n’est pas fait de mots […] c’est l’effacement du sens des mots. Ce qui n’est pas vrai de « lalangue » […] le sens y ruisselle.

Séminaire 21 : [séance du 11/06/1974] […] ils [les mots] n’ont de sens que véhiculés sur les traces que fraye « lalangue ».

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