La dictature de la liberté

senatus populusque romanus

Question n°1 : Ce titre est-il original ?

Pas tout à fait, car le titre « Dictature de la liberté » (sans l’article « La ») est aussi celui d’un ouvrage publié par Robert Aron en 1939.

Le livre de Robert Aron est un essai politique qui examine la question de l’organisation — paradoxalement de façon dictatoriale — de la liberté et du libre arbitre dans les démocraties. En quelque sorte, l’état devrait imposer et gérer l’essor de la liberté.

Personnellement, en m’en tenant à un objectif beaucoup moins ambitieux, je ne reviens pas sur la notion indiscutable de liberté ni sur son rôle dans la vie des gens, mais je propose ici quelques commentaires sur la place occupée par le mot « liberté » lui-même dans les diverses formes de discours.

Question n°2 : Le mot « liberté » a-t-il différents sens ?

D’abord, et depuis toujours, il y a les libertés fondamentales comme la liberté de penser, la liberté d’expression, la liberté d’écrire, la liberté d’organiser sa propre vie, la liberté de voter dans le cadre d’élections libres, etc.

Dans toutes les démocraties de la planète, le discours politique se réclame de ces libertés fondamentales.

Apparu avec le siècle des lumières, le libéralisme économique est fondé sur la liberté d’entreprendre. Il est aussi plus controversé parce qu’il s’appuie effectivement sur la recherche du profit individuel comme moyen d’aboutir à l’intérêt général.

Mais le mot « liberté » a souvent été utilisé comme un argument, sans aucun lien avec la notion de liberté elle-même.

Question n°3 : Peut-on citer des exemples d’usage abusif du mot « liberté » ?

Quand la Convention nationale en 1793 a établi le régime de la terreur, elle se gargarisait du mot de liberté. Mais pouvait-on parler de liberté lorsque chacun avait peur de parler, de faire le moindre geste parce qu’il craignait que cela ne soit interprété comme un acte contre-révolutionnaire et ne le conduise à l’échafaud (« Liberté, que de crimes commis en ton nom », dernières paroles prêtées à Madame Roland en allant à la mort). La liberté, c’est la liberté de parler et d’agir, et ce n’est pas seulement un mot prononcé alors à toute occasion par les Jacobins.

Quand le régime stalinien a exterminé sans pitié toutes les personnes dont la pensée n’était pas conforme à celle du dirigeant, il a probablement invoqué la liberté des peuples. Mais la liberté, c’est la liberté de penser et de pouvoir débattre de ses convictions.

Quand la chasse aux sorcières menée aux États Unis par le maccarthysme  a privé de leurs droits de nombreux artistes et intellectuels, elle l’a fait au nom de la « liberté américaine », mais la liberté c’est la possibilité d’exprimer ouvertement ses opinions politiques et de pouvoir échanger des idées.

Question n°4 : Et aujourd’hui, qui parle de liberté ?

Dans les sociétés modernes, tout le monde parle de tout, donc aussi de liberté.

Par conséquent, le mot « liberté » s’évade souvent de ses cadres naturels comme la politique, la littérature, l’économie, etc., et peut apparaître dans différents contextes où, par glissement métonymique, il joue le rôle de synonyme de nombreuses notions voisines comme la joie de vivre, le plaisir, la libération de toutes sortes de contraintes, etc.

Par exemple, le discours du libéralisme — dans un objectif commercial avéré de profit financier — est capable d’imposer des aliénations sociales sous le couvert de procurer le bien-être matériel.

Certes, à propos de bien-être, il faut reconnaître à quel point les progrès techniques ont apporté le confort — et la liberté ( !) — aux civilisations modernes en déchargeant les gens d’un grand nombre de contraintes pénibles et malheureusement mortelles.

Mais la société actuelle a su inventer d’autres formes d’asservissement et d’esclavage, tout en en prenant soin de ne pas s’attaquer aux libertés fondamentales comme la liberté d’expression ou la liberté d’écrire.

Question n°5 : La liberté est-elle dictatoriale ?

Pas la liberté en tant que telle, mais l’usage dominant du mot « liberté » comme argument irréfutable qui prend la place de message principal, à tel point que l’on pourrait entendre certains messages publicitaires comme : « Je vous ordonne d’être libres et de jouir de la consommation des objets. »

Et là, on a effectivement affaire à un comportement dictatorial.

Il y a bien d’autres exemples, notamment la dictature du football qui est suivi comme un dogme religieux, alors que ce n’est qu’un sport, c’est-à-dire avant tout un exercice physique et non un spectacle devant générer des sommes fabuleuses.

De même, la fête anglo-saxonne d’Halloween, en tant que prétexte d’un objectif commercial, parvient à installer sa dictature dans toutes les contrées du monde entier.

Question n°6 : Peut-on parler d’un emploi exagéré du terme de liberté ?

Bien sûr, il serait déraisonnable pour chacun de ne pas glorifier cet attribut essentiel dont sont privés les citoyens des états totalitaires.

Je voudrais simplement dans ce bref article — au titre paradoxal — illustrer en quoi le ralliement unanime d’un grand nombre de personnes à un même mot — dans ce cas le terme de « liberté » dans toute sa généralité — devient une forme du fonctionnement métonymique de la pensée humaine.

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