Le langage, base du savoir humain

Intelligence et langage

L’enseignement de Lacan prend soin d’éviter une superposition élémentaire entre les notions d’intelligence et de langage. Pour Lacan, l’intelligence est « animale dans son fondement ». Elle désigne un chapelet de fonctions, non indispensablement de type verbal, capables de construire rapidement et efficacement des associations entre des signes ou des concepts.

D’un autre côté, le langage spécifie la capacité de représentation dans l’ordre symbolique, qui est un fait propre à l’être humain. Par conséquent, le langage ne se confond pas avec l’intelligence. D’ailleurs, lorsque le langage interfère avec les processus de l’intelligence, il risque de les perturber localement. Toutefois — et c’est à ce point que se situe le gain —, en ayant le langage et l’intelligence, le sujet humain bénéficie de son aptitude à établir des associations privilégiées entre les deux, et à faire ainsi progresser son savoir. C’est l’intelligence qui permet de manier agilement et brillamment les éléments du langage ; cela s’appelle la vivacité d’esprit. Réciproquement, le langage sert de socle aux capacités d’apprentissage, et procure ainsi à l’être humain la faculté de multiplier les effets de l’intelligence.

En tout cas, pour Lacan, le privilège de l’intellectuel est la maîtrise du langage — et c’est une forme d’intelligence.

Savoir

L’animal peut disposer d’une grande efficacité dans ses capacités de fonctionnement, mais il ne manipule pas les signifiants. Ce que l’animal sait, il le sait par instinct, par un savoir hors langage. Le savoir animal instinctif permet de construire des ruches ou des fourmilières parfaitement fonctionnelles et perpétuellement identiques de génération en génération, mais pas des palais toujours nouveaux, ni des avions toujours plus performants, ni des villes toujours différentes, etc.

Pour l’homme, évidemment, il n’est pas question de nier la part de l’instinct, du biologique, et de l’héréditaire, dans son comportement. Cependant, globalement, l’être humain n’a pas un fonctionnement instinctif aussi efficient que celui de l’animal. Par contre, l’homme sait développer des pensées, les écrire et les transmettre, créer des concepts, fabriquer des instruments perfectionnés et des objets sophistiqués, inventer des processus complexes, etc. Ce qu’il sait, il le sait par le langage et à l’aide de la science : le savoir humain se compose de signifiants.

Avec le langage, certains vont élaborer des œuvres de génie, tandis que d’autres sombreront dans la névrose.

« Parole » de l’animal domestique

Bien que le comportement des animaux soit principalement gouverné par un savoir instinctif, Lacan a toutefois insisté, à de nombreux moments au cours de ses séminaires, sur le fait que l’animal domestique se révèle partiellement dépendant du langage apporté au voisinage du sujet humain. En effet, assez souvent, il se manifeste des épisodes marginaux d’inter-signifiance dans les relations entre les sujets humains et les animaux domestiques qui leur sont familiers.

Par exemple, lorsque Lacan évoque le comportement de sa chienne, il lui reconnaît l’accès à certaines formes de conversation : « Ma chienne a la parole sans aucun doute […] cela ne veut pas dire qu’elle ait totalement le langage. »

Ce que l’animal sait, il le sait par instinct. Ce que l'homme sait, il le sait par le langage.

Langage de l’humain et savoir culturel

Références

Séminaire 3 : [page 168] Pour ce qui est de l’homme, il est bien évident que cela [l’instinct] ne suffit pas.

Séminaire 5 : [page 222] Pour l’animal, l’instinct vient à son secours […] Alors, pourquoi vouloir que l’homme qui, lui, a des instincts fort peu adaptés, fasse l’expérience du monde, en quelque sorte avec ses mains ?

Séminaire 5 : [page 340] […] ce n’est pas dire pour autant qu’il n’y ait pour l’animal aucune dimension de l’Autre avec un grand A, mais seulement que rien ne s’en articule effectivement pour lui en tant que discours.

Séminaire 9 : [séance du 29/11/1961] Ma chienne a la parole sans aucun doute. Ceci est important, car cela ne veut pas dire qu’elle ait totalement le langage.

Séminaire « Les Noms du Père » : [séance du 20/11/1963] […] l’intelligence humaine n’est pas autre dans son fondement que l’intelligence animale.

Séminaire 12 : [séance du 02/12/1964] Aux différents échelons de l’animalité, ces structures [du réel] s’appellent : la tendance, le besoin, et […] l’intelligence […] l’intelligence est bien — pour moi, comme pour tout le monde — non verbale […] en quoi l’intelligence comme préverbale vient se nouer avec le langage comme pré-intellectuel ?

Séminaire 12 : [séance du 16/12/1964] […] comment se fait-il […] que le langage soit justement ce qui, à l’intelligence, fasse difficulté ?

Séminaire 13 : [séance du 05/01/1966] […] étudier l’intelligence là où elle doit être prise : au niveau des animaux.

Séminaire 18 : [séance du 19/05/1971] […] les animaux domestiques […] ce n’est pas pour rien qu’il y a longtemps que j’ai souligné qu’on ne peut pas dire qu’ils n’aient pas l’usage de la parole. S’il leur manque le langage, et bien entendu plus, les ressorts du discours, ne les rend pas pour autant moins sujets à la parole […]

Séminaire 21 : [séance du 19/02/1974] Chacun sait que l’instinct c’est un savoir, comme ça, supposé naturel.

Séminaire 21 : [séance du 11/06/1974] Que nous puissions dire qu’un chien ait été ému, embarrassé ou empêché dans quelque chose, c’est dans la mesure où il est dans le champ de ces « sèmes », et ceci par notre intermédiaire.

Séminaire 22 : [séance du 18/02/1975] […] un savoir n’est supposé que d’une relation au Symbolique […]

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