Le sujet barré sait que son sens est resté (le reste de la division) dans l’objet petit a, autrement dit dans son corps vivant.
La jouissance vient du corps (« La jouissance ne s’appréhende […] que de ce qui est corps »). Mais, comme tout ce qui vient du réel et tout ce qui résulte de la perception, elle traverse les entrelacements du nœud borroméen et se manifeste finalement via le symbolique, pour offrir au sujet un accès au corps et ouvrir des passages vers le sens détenu par le corps : « j’ouïs sens », c’est-à-dire « je perçois des fragments de sens provenant du corps ».
En frôlant la vérité de l’objet petit a, la jouissance semble franchir la « distance » qui sépare le sujet du corps, et peut ainsi répondre fugitivement au désir du sujet barré. Creusant des échancrures dans l’énoncé au gré des caprices de la contingence, elle éveille alors des étincelles d’accomplissement du désir de sens.
La jouissance répète la division pour renouveler l’objet petit a et obtenir à nouveau un peu de sensualité, c’est-à-dire pour « trouver du sens » aux plaisirs des sens.
Étant attachée au corps, la jouissance ne dispose pas de l’éternité devant elle, à la différence du signifiant qui est immortel. Ainsi que le corps vivant dont elle est pour l’être parlant une représentation momentanée, elle est limitée en durée par l’intervalle de la vie.
Note : Bien qu’un exemplaire de jeu de mots ne soit généralement valide que dans une seule instance de lalangue — ce qui, en toute logique, interdit de l’utiliser comme base de notions universelles —, j’ai cependant conservé ici le jeu de mots lacanien (« j’ouïs sens ») simplement pour le plaisir du lecteur.
Souffrance
La souffrance et la maladie constituent le versant symétrique de la jouissance. La souffrance fait ressentir avec insistance les douleurs venant du corps, car elle se place du côté du nécessaire, « ce qui ne cesse pas de s’écrire ».
« Pour jouir, il faut un corps »
Références
Séminaire 13 : [séance du 27/04/1966] […] la jouissance ne s’appréhende, ne se conçoit que de ce qui est corps […] il n’appartient qu’à un corps de jouir ou de ne pas jouir.
Séminaire 14 : [séance du 31/05/1967] Mais dire « Il n’y a de jouissance que du corps » et nommément que ceci vous refuse les jouissances éternelles, c’est bien là ce qui est en jeu dans ce que j’ai appelé valeur éthique du matérialisme […]
Séminaire 17 : [page 206] […] c’est bel et bien en tant que liée à l’origine même de l’entrée en jeu du signifiant, qu’on peut parler de jouissance. Ce dont jouit l’huître ou le castor, personne n’en saura jamais rien, parce que, faute de signifiant, il n’y a pas de distance entre la jouissance et le corps.
Séminaire 19 : [séance du 04/11/1971] Pour jouir, il faut un corps. Même ceux qui font promesse des béatitudes éternelles ne peuvent le faire qu’à supposer que le corps s’y véhicule […]
Séminaire 19 : [séance du 12/01/1972] […] l’être parlant […] ce rapport dérangé à son propre corps qui s’appelle jouissance […] ça a pour point de départ un rapport privilégié à la jouissance sexuelle […] inapprochable au langage très précisément en ceci, que le langage fonctionne, d’origine, en suppléance de la jouissance sexuelle, que c’est par là qu’il ordonne cette intrusion, dans la répétition corporelle, de la jouissance.
Séminaire 23 : [séance du 13/01/1976] Rendre cette jouissance possible, c’est la même chose que ce que j’écrirais j’ouïs sens. C’est la même chose que d’ouïr un sens.