L’imaginaire est un mode de perception du réel.
Il ne se rapporte pas à « l’imagination », mais à la fonction de perception des informations sensorielles. Le domaine de l’imaginaire regroupe les moyens perceptifs (vue, ouïe, toucher, etc.) qui fournissent du matériel aux processus de l’ordre symbolique.
L’imaginaire utilise les outils câblés de la perception que l’homme partage avec les autres êtres vivants — et dont les critères de performance varient selon les espèces, pouvant aller d’une efficacité extrême à une incapacité quasi-totale.
D’un point de vue fonctionnel, l’imaginaire humain se définit comme un mécanisme qui traite les informations de la perception afin de produire des représentations. Étant donné que les filtres de l’imaginaire introduisent des biais au moment de l’appréciation du réel, les représentations imaginaires ne sont pas acquises de façon brute mais par l’intermédiaire de représentants — de même que les tableaux sont eux aussi des représentants et ne sont pas de fidèles images du réel. L’être humain étant un sujet de langage, les représentants des représentations imaginaires sont des signifiants.
C’est via des signifiants — par exemple le moi qui représente l’image du corps — que les « visions » de l’imaginaire se déploient dans l’ordre symbolique. De ce fait, l’imaginaire exerce une emprise d’autant plus prépondérante sur le psychisme humain qu’il s’est finalement délié des automatismes perceptifs — alors qu’il a pris naissance en s’appuyant sur eux.
Chez le sujet humain, à la différence des animaux, le rôle imaginaire de l’instinct se trouve entièrement subverti par le symbolique. Par exemple, les images de la séduction et de la coquetterie (« la mascarade ») — qui sont destinées à être perçues par l’imaginaire d’un (ou d’une) autre sujet humain — se forment à partir des mécanismes de l’inter-signifiance, et sont déclenchées au gré des circonstances occasionnelles et non par les rythmes biologiques. Ce serait une erreur de les confondre avec les leurres indispensables à l’interaction entre partenaires dans la vie animale (parade nuptiale, etc.), qui proviennent de stimuli automatiques.
Intuition
L’imaginaire est le support de l’intuition grâce à laquelle un sujet a la conviction de saisir à coup sûr les preuves véridiques du réel. Bien que l’intuition soit aisément troublée par les mirages de l’imagination, les visions qu’elle fabrique s’intègrent dans le symbolique en tant que signifiants — de même que toutes les productions de l’imaginaire — et jouent un rôle équivalent à celui des autres signifiants lors de l’entrée du signifiant dans le réel, c’est-à-dire dans la science ou dans le mythe.
Hallucinations et rêves
L’imaginaire offre un chemin de passage aux hallucinations lors de l’état éveillé, ainsi qu’aux rêves lors de l’état de sommeil.
Les constructions hallucinatoires prennent leur source, non pas à partir de phénomènes perceptifs authentiques, mais à partir de créations illusoires échafaudées par l’ordre symbolique, qui font retour en se faisant passer — via l’imaginaire — pour de la perception : « Tout cela est forgé par votre cerveau ; le délire a le don de ces créations fantastiques. » (William Shakespeare, Hamlet, Acte III, scène IV.)
De même, les rêves résultent d’activités cérébrales ayant lieu pendant les périodes de sommeil paradoxal. Alors que la motricité et la perception sont bloquées par l’état de sommeil, les rêves donnent l’illusion exacte, via l’imaginaire, de la perception — de provenance pourtant complètement endogène — d’images, d’émotions ressenties, ou bien d’événements vécus et de mouvements accomplis.
Imaginaire humain et imaginaire animal
Références
Séminaire 1 : [page 158] […] dans le monde animal, tout le cycle du comportement sexuel est dominé par l’imaginaire.
Séminaire 1 : [page 162] […] chez l’homme, nulle régulation imaginaire qui soit vraiment efficace et complète ne peut s’établir sinon par l’intervention d’une autre dimension.
Séminaire 1 : [page 168] L’animal est alors tellement englué dans certaines conditions imaginaires que c’est là même où il lui serait le plus utile de ne pas se tromper que nous le leurrons le plus facilement.
Séminaire 2 : [page 28] […] le clivage du plan de l’imaginaire, ou de l’intuitif — où fonctionne […] le type, la forme éternelle […] — et de la fonction symbolique qui n’y est absolument pas homogène, et dont l’introduction dans la réalité constitue un forçage.
Séminaire 5 : [page 408] […] à quel point chez l’homme est réduit, mince, appauvri l’usage […] de la fonction de l’image […] C’est néanmoins une fonction extrêmement polyvalente et non pas neutralisée, puisque fonctionnant également sur le plan de la relation agressive et sur celui de la relation érotique.
Séminaire 6 : [séance du 26/11/1958] Si une hallucination nous pose des problèmes qui lui sont propres, c’est parce qu’il s’agit de signifiants et non pas d’images, ni de choses, ni de perceptions […]
Séminaire 6 : [séance du 03/12/1958] Une conduite hallucinée se distingue de la façon la plus radicale d’une conduite d’autoguidage [c’est-à-dire l’instinct] […]
Séminaire 6 : [séance du 18/03/1959] Ce qui constitue notre rapport à l’inconscient, c’est notre imaginaire, notre rapport avec notre propre corps […]
Séminaire 6 : [séance du 20/05/1959] L’expérience animale, pour autant qu’elle se structure en images […]
Séminaire 11 : [page 176] La mascarade a un autre sens dans le domaine humain, c’est précisément de se jouer au niveau, non plus imaginaire, mais symbolique.
Séminaire 11 : [page 188] Les relations entre les êtres dans le réel […] pourraient s’engendrer en termes de relations inversement réciproques. C’est à quoi la psychologie, et toute une sociologie, s’efforce, et elle peut y réussir quand il ne s’agit que du domaine animal, car la capture de l’imaginaire suffit à motiver toutes sortes de comportements du vivant. La psychanalyse nous rappelle que la psychologie humaine appartient à une autre dimension.