Barre du langage
La barre n’est pas seulement un exercice d’écriture entre le signifié et le signifiant ; elle représente matériellement l’acte de division signifiante. Dans la perspective ternaire qui fait tenir la division, il y a un quotient, un reste, et l’opérateur qui est le grand Autre, c’est-à-dire la structure signifiante. La barre du langage fournit l’instrument tranchant du grand Autre.
Le terme « sujet barré » (groupe nominal insécable) a été créé par Lacan afin de désigner le sujet résultant de la division signifiante : en ayant été divisé, le sujet restera définitivement marqué par la barre, et on l’écrit donc en montrant symboliquement cette barre qui le traverse.
Division entre vérité et savoir
La barre impose une frontière entre le sujet barré qui réside du côté du signifiant (les éléments du langage), et l’objet petit a (l’être du sujet) qui réside du côté du signifié, c’est-à-dire du réel.
Grâce au savoir qui s’enrichit sans cesse de signifiants, le sujet barré espère trouver des réponses aux questions qu’il se pose sur la vérité de cet objet petit a qui est aussi lui-même. Mais la vérité demeure dans le réel : « elle ne cesse pas de ne pas s’écrire » (l’impossible). Elle s’affirme indifférente aux désirs du sujet barré, ainsi qu’aux tentatives des signifiants et à leurs échecs dans la répétition de la division.
Face à la fermeté de cette vérité impassible, le sujet barré a encore la ressource de la dénégation : si ce corps pouvait « s’abolir » — « Ô chair trop souillée ! Si elle pouvait fondre, se dissoudre et se perdre en rosée ! » (William Shakespeare, Hamlet, Acte I, scène II) —, alors lui le sujet barré n’en serait plus tributaire.
La barre révèle la division originelle du sujet : elle fait barrière entre la vérité du corps et le savoir de l’esprit.
Indifférence de la vérité par rapport au savoir
Références
Écrits : [page 856] Ce fil [le cogito] ne nous a pas guidé en vain, puisqu’il nous a mené à formuler […] notre division expérimentée du sujet comme division entre le savoir et la vérité […]
Séminaire 12 : [séance du 23/06/1965] [Exposé de Mme Montrelay à propos du roman : Le ravissement de Lol. V. Stein, de Marguerite Duras] […] il ne reste plus que le corps de Lol, horrible, effroyable à soutenir, objet petit a qu’il va falloir désormais s’efforcer d’abolir.
Séminaire 17 : [page 57] […] le savoir, dans son origine, se réduit à l’articulation signifiante.
Radiophonie : [Autres écrits, page 441] Pour revenir à elle [la vérité], […] dire qu’elle souffre tout, rosée du discours ! peut vouloir dire que ça ne lui fait ni chaud ni froid.