La séparation, au-delà de l’aliénation

Aliénation

Lorsque Lacan évoque l’aliénation, il ne s’agit pas d’aliénation mentale (ce qui serait une simple dénotation), ni « d’aliénation marxiste », mais d’une métaphore pour exprimer le fait que le sujet a cédé au grand Autre le mandat de gérer son ex-sistence. Cette aliénation au langage n’est pas un choix ; « elle est forcée ». Par exemple, le complexe d’Œdipe montre que le sujet humain doit la subir lorsque la tactique des signifiants oriente sans pitié son destin.

Séparation

Heureusement, l’obédience aux signifiants ne se manifeste pas uniquement comme un carcan pour l’être humain. Ainsi, lors de l’acte de séparation, le sujet entreprend de tirer parti de l’aliénation en jouant le jeu du symbolique. Il se baptise dans la structure, c’est-à-dire met en avant les signifiants qui le représentent (comme cela se fait avec le prénom pour la cérémonie du baptême chrétien), afin de « s’engendrer » au sens social dans le champ du langage. Selon le modèle de la relation du sujet au langage, la séparation consiste à se valider par l’énoncé d’un signifiant, et à s’affirmer par énonciation vis-à-vis des autres signifiants représentant peut-être des sujets. Cela s’apparente à une forme de « réussite sociale » — par exemple dans le cas d’Œdipe lorsqu’il triomphe glorieusement du Sphinx, avant que la malédiction ne reprenne l’avantage en envoyant la peste décimer la cité de Thèbes dont il est devenu le roi.

La séparation exprime une facette du comportement — acte d’inter-signifiance se déroulant dans l’inconscient — qui n’est possible que parce que le sujet s’est aliéné à l’Autre auquel il a remis le pouvoir de le gérer en tant que signifiant : c’est bien là le sens de l’aliénation du sujet. Alors que l’aliénation présume une sorte d’allégeance, la séparation établit un « acte de baptême », une consécration qui se fonde sur cette allégeance.

Les éclaircissements étymologiques de Lacan sont tout à fait judicieux puisque, pour le sujet humain aliéné au langage, l’objectif du « se parer » revient à « se défendre » ou bien à « se parer ». La parade de l’homme démontre un acte de séparation : par exemple, le faste (voitures de luxe, riches habits, maisons somptueuses, étalage de l’opulence, etc.) constitue un mécanisme métonymique ayant pour vocation de se faire valoir socialement dans la différence par rapport aux autres — au contraire du comportement d’apparat dans le monde animal qui provient d’un mécanisme automatique déclenché par l’instinct, par exemple lors de la parade nuptiale visant à l’union pour la reproduction.

La séparation exprime une facette du comportement qui n'est possible que parce que le sujet s'est aliéné à l'Autre auquel il a remis le pouvoir de le gérer en tant que signifiant.

Aliénation et séparation

Références

Séminaire 12 : [séance du 16/06/1965] […] la dialectique de ma relation avec l’Autre, le grand A, celle que […] je vous ai définie par le rapport de l’aliénation.

Séminaire 14 : [séance du 25/01/1967] L’aliénation n’a absolument rien à faire avec ce qui résulte de déformation […] d’une pensée qu’on appelle marxiste […] L’aliénation marxiste, d’ailleurs, ne suppose absolument pas en soi l’existence de l’Autre […]

Séminaire 15 : [séance du 10/01/1968] [l’aliénation] […] un choix forcé et forcément perdant […] « Ou je ne pense pas, ou je ne suis pas. »

Séminaire 11 : [page 194] Separare, séparer, j’irai tout de suite à l’équivoque du se parare, du se parer dans tous les sens fluctuants qu’il a en français, aussi bien s’habiller, que se défendre, se fournir de ce qu’il faut pour vous mettre en garde, et j’irai plus loin encore, ce à quoi m’autorisent les latinistes, au se parere, au s’engendrer dont il s’agit dans l’occasion. Comment, dès ce niveau, le sujet a-t-il à se procurer ? — c’est là l’origine du mot qui désigne en latin l’engendrer.

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