En programmation informatique, on apprend que les algorithmes de production de nombres au hasard sont inefficaces si l’on ne leur fournit pas une amorce de hasard provenant du réel. Le calcul signifiant ne sait pas fabriquer du hasard à partir de rien ; il faut l’initialiser en implantant du réel.
De façon similaire, s’inspirant du vocabulaire d’Aristote, Lacan appelle « automaton » le « réseau des signifiants », et « tuché» la rencontre très improbable avec un signifié dans le réel qui séjourne au-delà de l’automaton. Alors qu’aucune combinatoire de signifiants (algorithme) ne peut générer le hasard (en tant que fraction du réel), de même l’automaton ne peut pas occasionner la rencontre, c’est-à-dire l’adéquation entre les constructions du symbolique et les entités du réel.
Est-ce qu’aujourd’hui l’IA pourrait être la première à franchir cette barrière qui dure depuis la nuit des temps, ou bien devra-t-elle rester elle aussi en deçà ? C’est en effet le type de question que pose la contingence.
Le hasard et la rencontre montrent des échantillons de la contingence, de ce qui cesse de ne pas s’écrire.
Hasard et rencontre
Références
Séminaire 11 : [page 49] […] [le réel] à cette place où le sujet en tant qu’il cogite […] ne le rencontre pas.
Séminaire 11 : [page 51] le rapport qu’Aristote établit entre l’automaton — et nous savons au point où nous en sommes de la mathématique moderne, que c’est le réseau des signifiants — et ce qu’il désigne comme la tuché — qui est pour nous la rencontre du réel.
Séminaire 11 : [page 76] […] le fait du tychique est central […] rencontre heureuse, rencontre malheureuse […]
Séminaire 13 : [séance du 02/02/1966] Le hasard se rattache essentiellement à la conception du réel en tant qu’impossible […] impossible à interroger parce qu’il répond au hasard.
Séminaire 20 : [page 132] La contingence, je l’ai incarnée du cesse de ne pas s’écrire. Car il n’y a là rien d’autre que rencontre […]
Enjeu de la contingence
On retrouve ici la base même de la contingence : elle permet de parier sur l’éventualité de ce qui pourrait cesser de ne pas s’écrire. Si le sujet choisit de parier, il peut rêver de l’immensité du gain, mais il n’ignore pas que « sa mise est engagée pour être perdue ». S’il choisit de ne pas parier, il conserve bêtement sa mise, mais il est fatalement perdant puisqu’il n’est pas entré dans le jeu. Si l’on rapporte l’enjeu à l’existence quotidienne, il est raisonnable de parier sur la contingence de l’incertain pour continuer à vivre, même une vie ordinaire, puisque rien n’est certain dans la vie de l’homme.
Pari de Pascal
Références
Séminaire 13 : [séance du 02/02/1966] […] ce réel dont il n’y a rien à attendre […] Ce qui est engagé au terme de l’acte […] car il faut qu’il y ait acte et acte de décision […] est toujours engagé comme rien puisque la mise est mise là pour être perdue […]
Séminaire 21 : [séance du 08/01/1974] […] la contingence de la vérité au regard du réel.