Si l’on examine ce qui ressort des propriétés de l’énoncé et de l’énonciation telles que nous les avons exposées, deux constatations se dessinent :
— d’une part, alors que l’énoncé fonde le socle de la parole quotidienne, les réponses purement lexicales données par les vocabulaires ne sont pas forcément suffisantes à l’aune de la subtilité des processus de l’inconscient ;
— d’autre part, l’énonciation, qui s’inscrit au niveau supérieur du graphe du désir, résonne comme une rencontre. Bien sûr, la poésie, la musique, les découvertes, les arts, les exploits de toutes sortes, etc. déroulent les voies royales de la métaphore, et démontrent que ce ne serait pas un projet chimérique d’atteindre l’étage de l’énonciation. Néanmoins, pour tous les sujets humains, l’accès à l’énonciation demeure incertain. L’énonciation s’avère contingente, car elle semble à la fois probable et improbable : elle a l’air probable parce qu’on la voit tous les jours, et l’air improbable parce que l’on ne sait pas si elle adviendra ni quand elle adviendra.
Apparaissant « entre l’énoncé et l’énonciation », le désir est désir d’énonciation, d’un « pas de sens » par rapport au discours courant. Il tente de garantir que la demande, qui représente la relation sociale du sujet, traversera tous les niveaux de l’inter-signifiance sans se limiter à assouvir le besoin. Pour cette raison, « l’énonciation est toujours énonciation désirante ».
Désir de l’Autre
Reprenant en 1969 (dans le Séminaire 16) sa formule de 1960 (dans Subversion du sujet et dialectique du désir) — « le désir de l’homme est le désir de l’Autre » —, Lacan précise clairement : si « l’homme désire en tant qu’Autre », c’est parce que « le désir se joue dans le champ de l’Autre tel qu’il s’articule comme lieu de la parole », champ technique du langage en tant que surface signifiante bien entendu, et non appel à une quelconque divinité.
Le désir de l’homme résulte du langage, et émane de l’Autre auquel le sujet barré a été aliéné par la division.
Ainsi que l’inconscient dont il incarne une instance, le désir est « structuré comme un langage » dans ce lieu de l’Autre : c’est une connexion de signifiants. Via le désir qui vise inconsciemment l’énonciation, Lacan peut même identifier l’énonciation à l’inconscient : « à l’étage supérieur du graphe, il y a une chaîne signifiante qui s’appelle l’inconscient », « sorte de phrase que le sujet ne peut pas articuler ».
Le désir provient de l’Autre, il est désir de l’Autre.
Angoisse de l’Autre
« L’objet petit a est la cause du désir » dit Lacan, évoquant l’objet petit a qui se montre aussi source d’angoisse, puisque sa perte en tant que reste réel de la castration signifiante signifie pour le sujet la perte de sa propre vérité.
Le sujet humain voudrait relier le savoir à la vérité ; mais, ainsi que l’observe Lacan dans Télévision, « les mots y manquent ». De même que le désir est désir de l’Autre, l’angoisse est angoisse de l’Autre, elle provient de la défaillance des mots dans l’Autre.
L’angoisse, le fantasme, et le cogito, partagent la structure du désir qui pose la question du rapport du sujet barré à l’objet petit a — c’est-à-dire la question du rapport de l’inconscient au corps. C’est le « drame du désir révélé par l’angoisse ».
Désir entre énoncé et énonciation
Références
Écrits : [page 814] […] le désir de l’homme est le désir de l’Autre […] à savoir que c’est en tant qu’Autre qu’il désire.
Séminaire 16 : [page 123] Le désir de l’Autre est le désir de l’homme, ai-je dit en un temps […] J’aurais pu me contenter de dire que le désir en tant qu’il vous concerne se joue dans le champ de l’Autre tel qu’il s’articule comme le lieu de la parole.
Séminaire 5 : [page 442] Le désir de l’homme est toujours pour lui à rechercher au lieu de l’Autre en tant que lieu de la parole, ce qui fait que le désir est un désir structuré dans ce lieu de l’Autre.
Séminaire 5 : [page 474] Posons-nous une fois de plus la question de savoir ce que c’est que la ligne du haut de notre schéma. C’est une ligne signifiante, en ce qu’elle est structurée comme un langage. D’autre part, pour être structurée comme un langage, c’est une sorte de phrase que le sujet ne peut pas articuler […]
Séminaire 6 : [séance du 18/03/1959] […] dans le second plan du graphe […] il y a quelque part installée une chaîne signifiante qui s’appelle […] l’inconscient […]
Séminaire 6 : [séance du 01/07/1959] […] le réel s’y présente justement comme ce qui résiste à la demande, ce que j’appellerais l’inexorable.
Séminaire 10 : [page 257] […] le désir est illusion […] illusion ne saurait être ici que référence au registre de la vérité.
Séminaire 11 : [page 129] Tout ce qui anime, ce dont parle toute énonciation, c’est du désir.
Séminaire 14 : [séance du 18/01/1967] Et c’est pourquoi j’écris signifiant du grand Autre barré [l’énonciation], comme constituant un des points nodaux de ce réseau autour duquel s’articule toute la dialectique du désir, en tant qu’elle se creuse de l’intervalle entre l’énoncé et l’énonciation.
Séminaire 10 : [page 11] […] la structure de l’angoisse n’est pas loin [de celle du fantasme], pour la raison que c’est bel et bien la même.
Séminaire 10 : [page 204] […] la béance du désir à la jouissance. C’est là que se situe l’angoisse.
Séminaire 10 : [page 281] […] dans la fondation du sujet dans l’Autre par la voie du signifiant, et dans l’avènement d’un reste autour de quoi tourne le drame du désir, drame qui nous resterait opaque si l’angoisse n’était là pour nous permettre d’en révéler le sens.