Division, coupure, castration

La division signifiante est une opération de langage. En effet, comment ne pas être accroché par cette litanie du discours de Lacan : « l’opération du langage divise le sujet », répétée encore et encore, jusqu’au séminaire « Encore », et encore après. La division signifiante installe le sujet humain dans la structure des signifiants.

La division n’est pas une valeur morale : elle n’est pas une division vertueuse entre bien et mal, ni entre bon et mauvais.

Processus de division

Le processus de création du sujet est celui de la division en arithmétique entière, produisant un quotient et un reste. Dans le cas de la division signifiante, nous posons avec Lacan le postulat que cette division n’est jamais une division arithmétique exacte : « il y a toujours un reste non nul ».

La division s’applique à du réel, en l’occurrence le réel du sujet. Elle engendre le sujet barré qui est le quotient au sens de la division. Le sujet barré s’associe à des signifiants en tant qu’éléments du langage.

Dans l’opération de division, il y a un reste réel : l’être du sujet, appelé aussi l’objet petit a.

L’objet petit a n’est pas représentable ; par contre, il peut de nouveau être coupé, et produire encore du sens et une nouvelle fois un reste. C’est la curiosité d’interroger le mystère de l’objet petit a, essence réelle « irréductible » du sujet, qui renouvelle la division : le sujet répète récursivement cette division en l’appliquant de nouveau à l’objet petit a, et en obtenant continuellement à chaque étape un reste réel inaccessible.

Mur du langage

Le « mur du langage », concept proposé par Lacan en 1953 dans « Fonction et champ de la parole et du langage » (Écrits, page 308 et suivantes), puis en 1955 dans le Séminaire 2 (page 285 et suivantes), doit se comprendre comme un infranchissable mur de ceinture entourant de toutes parts le sujet humain, et l’emprisonnant dans le langage. Sur la figure de la division, le mur du langage est marqué par l’attribut « impossible » apposé sur le lien entre le langage et le réel de l’objet petit a. Il s’ensuit que le langage ne permet pas au sujet barré, placé d’un côté, d’atteindre l’objet petit a placé de l’autre côté ; ou bien, en d’autres termes, le sujet ne peut pas se servir du langage pour accéder au réel de son être.

Perspective ternaire

Ainsi que le montre la figure de la division, il s’avère indispensable de considérer la division signifiante dans une perspective ternaire positionnant le langage, c’est-à-dire l’ensemble structuré des signifiants — le grand Autre selon le vocabulaire de Lacan —, comme opérateur (le diviseur) entre les deux éléments qu’il produit : le sujet barré et l’objet petit a.

Processus de division et mur du langage

Processus de division et mur du langage

Références

Séminaire 15 : [séance du 13/03/1968] […] la psychanalyse nous apprend que le sujet, de par ce qui est l’effet même du signifiant, ne s’institue que comme divisé, et d’une façon irréductible. Voilà ce qui sollicite de nous l’étude de ce qu’il en est du sujet comme effet de langage […]

Séminaire 7 : [page 366] C’est en tant que le sujet se situe et se constitue par rapport au signifiant, que se produit en lui cette rupture, cette division, cette ambivalence, au niveau de laquelle se place la tension du désir.

Séminaire 10 : [page 189] […] quelque chose qui est le reste, l’irréductible du sujet. C’est petit a. Le petit a est ce qui reste d’irréductible dans l’opération totale d’avènement du sujet au lieu de l’Autre, et c’est de là qu’il va prendre sa fonction.

Séminaire 12 : [séance du 03/03/1965] L’expérience analytique nous montre […] que dans l’opération dont il s’agit il y a toujours un reste […] que l’effet de l’opération n’est jamais un pur et simple zéro […]


Division, coupure, castration

L’opération de division peut se nommer — presque indifféremment sur le plan conceptuel, mais plutôt par rapport à l’environnement contextuel — division signifiante, coupure (coupure signifiante), ou castration, exprimant ainsi trois connotations complémentaires :

— la division expose le point de vue de l’arithmétique, celui de la division entière ;

— la coupure déclare le côté définitif de l’acte d’instauration du sujet ;

— la castration sous-entend une blessure violente ou bien une menace de blessure. Cette connotation suggère que la division signifiante peut se ressentir avec angoisse comme un moment douloureux, parce qu’elle arrache la vérité. Dans le Séminaire 10, Lacan précise que c’est la présence de l’Autre (c’est-à-dire l’aliénation à la structure du langage) qui cause la castration.

Division, coupure, ou castration: trois points de vue sur la division signifiante

Trois points de vue sur la division signifiante

Références

Écrits : [page 826] […] la castration est en tout cas ce qui règle le désir […]

Séminaire 6 : [séance du 20/05/1959] […] le sujet se trouve lui-même situé comme tel dans le signifiant, en tant qu’il est structuré par la coupure.

Séminaire 6 : [séance du 27/05/1959] […] le rapport le plus intime de l’homme à la coupure, en tant qu’il dépasse toutes les coupures naturelles, qu’il y a cette coupure essentielle de son existence, à savoir qu’il est là [dans le réel] et il doit se situer [dans le symbolique] dans ce fait même de l’avènement de la coupure.

Séminaire 7 : [page 325] […] la coupure qu’instaure dans la vie de l’homme la présence même du langage.

Séminaire 10 : [page 274] S’il n’y avait pas d’Autre […] il n’y aurait pas de castration.

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