Le psychotique ignore la division signifiante, ce que Lacan exprime avec la formule : « S’il n’est plus un sujet divisé [c’est-à-dire, si le sujet n’est pas barré], il est fou » (Séminaire 5, page 431). Le psychotique ne reconnaît pas le grand Autre en tant que lieu des signifiants. Par conséquent, il n’a pas la capacité d’utiliser le langage comme mécanisme de structuration signifiante au niveau du travail de l’inconscient.
S’inspirant du vocabulaire juridique où la forclusion stipule la déchéance irrémédiable d’un droit après la fin d’un délai de prescription, Lacan a proposé le terme de forclusion pour désigner le rejet d’un signifiant hors de l’ordre symbolique. S’efforçant de traduire fidèlement les concepts freudiens, Lacan a longtemps hésité avant d’ancrer, « tout bien réfléchi », son choix de cette expression lors de la dernière séance du Séminaire 3. D’amples débats continuent de se nourrir de la subtilité des connotations pouvant être perçues parmi un éventail de termes voisins : déni, abolition, abrogation, refus, déficit, etc. Ne nous situant pas en ligne directe dans l’héritage de Freud, nous n’avons pas à chercher la meilleure traduction des notions freudiennes, mais nous conservons ici le terme lacanien de forclusion dont la consonance « sans-appel » s’accorde convenablement avec le sens attendu, afin de qualifier quelque chose qui se révèle définitivement invisible, inaperçu, non inscrit, ignoré.
La forclusion de la structure du grand Autre signifie que la structure langagière du grand Autre manque au psychotique. Cette forclusion met en évidence les critères de la psychose tels que la psychiatrie les observe et les répertorie.
Le cas Schreber
Le principal cas clinique présenté par Lacan dans son séminaire sur les psychoses (Séminaire 3) est le cas Schreber. Le président Daniel Paul Schreber (1842-1911) était un juriste allemand. En 1893, après avoir été nommé président de la cour d’appel de Dresde, il a développé un délire psychotique et a dû être hospitalisé en clinique pour malades mentaux. Il a ensuite rédigé un livre intitulé « Mémoires d’un névropathe » dans lequel il expose son délire. Le cas Schreber a fait l’objet de très nombreux travaux. Freud et Lacan ont l’un et l’autre considéré le livre de Schreber comme un compte-rendu d’observation clinique à part entière, et il est vrai que le délire du président Schreber est fabuleusement riche.
Le psychotique n’est pas un sujet barré
Références
Séminaire 1 : [page 133] […] les différences qu’il peut y avoir entre le retrait dirigé, sublimé, de l’intérêt pour le monde auquel peut arriver l’anachorète [religieux contemplatif qui se retire dans la solitude], et celui du schizophrène, dont le résultat est pourtant structuralement distinct puisque le sujet se retrouve parfaitement englué.
Séminaire 3 : [page 361] […] la notion de la Verwerfung dont je suis parti, et pour laquelle, tout bien réfléchi, je vous propose d’adopter définitivement cette traduction que je crois la meilleure — la forclusion.
Séminaire 3 : [page 362] […] le psychotique a sur vous ce désavantage, mais aussi ce privilège de s’être trouvé placé par rapport au signifiant un tout petit peu de travers, de traviole. À partir du moment où il est sommé de s’accorder à ces signifiants, il faut qu’il fasse un effort de rétrospection considérable, qui aboutit à des choses, ma foi, extraordinairement farfelues, et qui constituent ce qu’on appelle le développement d’une psychose.