La notion de signifiant est une notion importante dans le champ scientifique de la linguistique.
Lacan s’est ouvertement inspiré de la linguistique. Cependant, il a préféré qualifier son approche de « linguisterie », afin d’annoncer explicitement la réutilisation qu’il faisait du travail des linguistes, tout en affichant en même temps la divergence de ses propres visées pour l’analyse du psychisme. De même, l’usage du signifiant dans notre modèle (« les signifiants sont les éléments de la structure du langage») se maintient bien en retrait par rapport aux développements complexes des sciences du langage.
Lorsque le séminaire de Lacan a quitté l’hôpital Sainte-Anne en 1964, et s’est installé à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, il a été accueilli dans ces prestigieux locaux avec l’étiquette d’une approche psychiatrique et psychanalytique venant s’associer aux sciences du langage. Cette alliance de concepts est sûrement une raison du succès des séminaires de ces années là. Pourtant, à partir du Séminaire 16 en 1969, Lacan a commencé à se démarquer de la linguistique (qui était peut-être une bannière trop envahissante), et cela a été la cause de son départ de la rue d’Ulm. Ensuite, il s’est ostensiblement éloigné de la science linguistique au cours du Séminaire 20, en baptisant sa propre approche de linguisterie.
De même, Lacan a toujours exprimé son intérêt pour les travaux de Noam Chomsky. Toutefois, après avoir rencontré Chomsky aux USA (rencontre dans laquelle il avait sans doute placé beaucoup d’espoirs), Lacan a déclaré le 9 décembre 1975 avoir été « soufflé » par Chomsky, admettant ainsi qu’il n’y avait aucune chance pour que leurs chemins respectifs de recherche se rejoignent. Chomsky fait de la syntaxe et de la grammaire, Lacan de la psychanalyse ; ils ont en commun la structure du langage, mais ils n’ont pas la même optique. Chomsky étudie comment l’homme acquiert et utilise le langage, selon « l’idée commune » où ce serait « un organe », c’est-à-dire un outil. Pour Lacan, c’est le contraire, le langage structure l’homme ; l’homme souffre du langage ; le langage est la condition de la pensée.
« Linguisterie »
Références
Séminaire 14 : [séance du 22/02/1967] La linguistique nous sert, en ce qu’elle nous a fourni le modèle de cette coupure et en cela essentiellement […] Tout le développement de la linguistique, nommément, curieusement, ce qu’on pourrait appeler la sémiologie […] ne nous intéresse pas à un degré égal.
Séminaire 20 : [page 19] Un jour, je me suis aperçu qu’il était difficile de ne pas entrer dans la linguistique à partir du moment où l’inconscient était découvert.
Séminaire 20 : [page 20] Mais si on considère tout ce qui, de la définition du langage, s’ensuit quant à la fondation du sujet, si renouvelée, si subvertie par Freud que c’est là que s’assure tout ce qui de sa bouche s’est affirmé comme l’inconscient, alors il faudra, pour laisser à Jakobson son domaine réservé, forger quelque autre mot. J’appellerai cela la linguisterie […] Mon dire, que l’inconscient est structuré comme un langage, n’est pas du champ de la linguistique.
Séminaire 23 : [séance du 09/12/1975] Une des choses qui m’ont le plus frappé quand j’étais en Amérique, c’est ma rencontre qui n’était certes pas par hasard, qui était tout à fait intentionnelle de ma part, c’est ma rencontre avec Chomsky. J’en ai été, à proprement parler, je dirais soufflé. Je le lui ai dit. L’idée dont je me suis rendu compte qu’elle était la sienne […] qui m’a fait sentir toute la distance où j’étais de lui […] qui est l’idée en effet commune […] que le langage soit lui-même un organe.