Invocation du grand Autre
La demande du sujet se formule toujours en assemblant des signifiants dans une chaîne signifiante. Pourtant, bien qu’elle soit effectivement un spécimen de l’inter-signifiance, la demande ne gagne le sens dont elle a besoin en guise d’appel que si elle semble s’adresser à un grand Autre qui serait un sujet, c’est-à-dire si elle se déroule métaphoriquement sur un plan d’intersubjectivité.
Le grand Autre n’est bien sûr jamais un sujet, il n’est que la structure, rien que la structure. C’est en tant que structure qu’il s’institue comme l’opérateur de la coupure. Cependant, le terme de grand Autre lui appose une connotation d’être suprême omniscient. Cette suggestion d’une transcendance bienveillante procure au sujet le sentiment de l’invocation adressée à un grand Autre témoin des vicissitudes de notre condition, et que l’on pourrait solliciter en toute confiance.
Demande adressée au grand Autre
Références
Séminaire 8 : [page 415] […] l’enfant […] se retourne vers l’adulte […] la référence à l’Autre vient jouer là une fonction essentielle.
Séminaire 9 : [séance du 15/11/1961] […] supposition indue [du sujet] : que l’Autre sache, qu’il y ait un savoir absolu. Mais l’Autre en sait encore moins que lui, pour la bonne raison justement qu’il n’est pas un sujet.
Séminaire 10 : [page 73] Quand on sait comment se comporte un chien vis-à-vis de qui s’appelle ou ne s’appelle pas son maître, on sait en tout cas que la dimension de l’Autre, ça compte pour un chien.
Séminaire 12 : [séance du 13/01/1965] […] la demande est définie comme le discours qui vient expressément s’inscrire au lieu de l’Autre.
Séminaire 13 : [séance du 12/01/1966] […] cette dimension que je décris comme celle du lieu de l’Autre où tout ce qui s’articule comme parole, se pose comme vrai même et y compris le mensonge.
Séminaire 14 : [séance du 18/01/1967] Définir l’Autre comme lieu de la parole, c’est dire qu’il n’est rien d’autre que le lieu où l’assertion se pose comme véridique, c’est dire du même coup qu’il n’a aucune autre espèce d’existence, mais comme le dire, c’est encore faire appel à lui pour situer cette vérité, c’est le faire ressurgir chaque fois que je parle.
Séminaire 16 : [page 124] [le sujet] […] s’adresse là à un Autre sans figure. Nul besoin, en effet, qu’il en ait la moindre, si nous savons distinguer du rapport au semblable [le petit autre] le champ de l’Autre […]
Un être providentiel
Pour implorer le grand Autre, il faut qu’il soit reconnu dans le langage à l’égal d’un être providentiel.
La polyvalence du signifiant autorise les signifiants à désigner des éléments du réel « pour pouvoir en parler ». Ainsi, le signifiant Dieu est valide dans le langage. Non seulement il dénote spontanément dans l’ordre symbolique le « Dieu des philosophes », mais il représente aussi Dieu — en tant qu’élément contingent — « dont l’existence est ineffable ».
C’est à la « place où s’était installé Dieu que se trouve le grand Autre », c’est-à-dire le destinataire des demandes des sujets.
Tirant parti de la connotation divine de ce grand Autre dont on veut avoir la certitude qu’il soit à l’écoute des prières qu’on lui adresse — « Qu’il te conduise, à travers ciel, au père éternel » (Georges Brassens) —, Lacan a défini la notion de « Nom-du-Père » qui est un signifiant auquel on assigne le rôle de référent du grand Autre, afin de valider cet Autre que l’on adjure.
Ainsi que l’explique Lacan, le Nom-du-Père — c’est-à-dire le « signifiant qui dans l’Autre, en tant que lieu du signifiant, est le signifiant de l’Autre » (Écrits, page 583) — a simplement pour place celle d’un « signifiant dans le langage » : il appartient à la structure au même titre que tous les signifiants, mais il permet par connotation de sens de personnifier l’Autre, c’est-à-dire le langage lui-même, comme une créature tutélaire.
De même que beaucoup de groupes nominaux créés par Lacan, le groupe nominal « Nom-du-Père » doit être considéré comme insécable.
Validation de l’Autre
Références
Séminaire 3 : [page 362] […] vous êtes tous, et moi-même avec vous, insérés dans ce signifiant majeur qui s’appelle le Père Noël.
Séminaire 4 : [page 48] Le Saint-Esprit est l’entrée du signifiant dans le monde.
Séminaire 14 : [séance du 01/02/1967] […] cet Autre divin, vide, que Pascal désigne sous le nom du « Dieu des philosophes » et dont nous ne saurions absolument plus nous contenter.
Séminaire 15 : [séance du 19/06/1968] Cet Autre […] c’est une bonne place et […] on y avait installé quelque chose qui y est encore pour la plupart d’entre vous, qui s’appelle Dieu […]
Séminaire 19 : [séance du 08/03/1972] […] la question de l’existence de Dieu, précisément celle que je laisse à l’horizon comme ineffable. [Ineffable : Ce qui ne peut pas être exprimé par des mots, en raison de la transcendance d’une réalité qui dépasse l’homme.]