Signifiant du grand Autre barré

Au niveau de l’énonciation, c’est dans le grand Autre, non pas en tant que dictionnaire mais en tant que lieu des mécanismes du langage, que se produit la métaphore : elle dépend d’un Autre qui ne répondrait pas comme une machine, mais qui jouerait sur les mots et leur sens.

Pour pouvoir jouer sur les mots, il faudrait que ce grand Autre ex-siste comme un sujet barré. De même que le sujet humain est un sujet barré associé à des signifiants parce qu’il a été divisé par le langage, il faudrait que le grand Autre soit lui aussi divisé et représenté par des signifiants. Mais, ainsi que le fait observer Lacan, « il n’y a pas d’Autre de l’Autre », « il n’y a pas de métalangage », « pas de langage du langage ». S’il y avait un grand Autre de l’Autre, alors l’Autre ex-sisterait [dans un autre langage !]. Il serait barré à l’exemple d’un sujet humain, ce que Lacan exprime en disant que l’Autre serait « marqué par le signifiant ».

Le signifiant du grand Autre barré est un signifiant qui représenterait le grand Autre s’il ex-sistait, s’il était barré. Lacan appelle grand Autre barré le site de la métaphore : « le lieu des mécanismes du langage est le grand Autre barré », cet Autre « théâtral » qui se divertirait en jouant avec les mots. L’énonciation se situe au niveau du signifiant du grand Autre barré, au sommet du graphe du désir.

Le signifiant du grand Autre barré ne se confond pas avec le Nom-du-Père, car ils n’appartiennent pas l’un et l’autre à la même « classe de langage ». En effet, le Nom-du-Père est, non pas dans un métalangage mais dans le langage lui-même, un signifiant permettant métaphoriquement d’invoquer l’Autre comme un être providentiel. Par contre, le signifiant du grand Autre barré serait, dans un métalangage c’est-à-dire dans un langage du langage, un signifiant qui représenterait l’Autre — s’il était barré. Mais, « il n’y a pas d’Autre de l’Autre ».

La notation lacanienne du signifiant du grand Autre barré est la suivante :

notation lacanienne du signifiant du grand Autre barré

Dans la notation du graphe, la lettre minuscule s désigne le signifié : s (A) est banalement le « signifié du grand Autre ». La lettre majuscule S désigne un signifiant : S (A barré) est le « signifiant du grand Autre barré ».

Niveaux de réponse dans le graphe du désir

La solution à l’étage de l’énoncé s (A) possède la granularité ordinaire d’un lexique, celle du mot à mot découlant de tables associatives.

À l’inverse, dans la solution à l’étage de l’énonciation, à cause des effets de substitution inattendue, il y a toujours des trous et des pas à franchir dans la continuité de la signification. Cet Autre dont l’énonciation donne la réponse est un Autre barré se servant des lacunes entre les mots pour créer du sens. Au niveau de l’énonciation, le langage « assure la prévalence de la batterie des signifiants sur les effets de signification ».

L’effet performatif n’est pas un attribut corrélé spécifiquement avec l’énonciation (à la différence des domaines du juridique où l’on stipule souvent l’énonciation comme un acte porteur d’une volonté performative). S’il existe des intonations performatives dans les pensées inconscientes ou bien dans les relations sociales, ces intonations peuvent s’imposer à n’importe lequel des quatre niveaux du graphe.

Par contre, c’est toujours avec l’usage de la métaphore que survient l’énonciation.

Signifié de l’Autre et signifiant du grand Autre

Signifié de l’Autre et signifiant du grand Autre barré

Références

Séminaire 5 : [page 74] Il n’y a pas de métalangage au sens où cela voudrait dire par exemple une mathématisation complète du phénomène du langage […]

Séminaire 5 : [page 312] Le petit s de grand A désigne ce qui dans l’Autre est signifié, et signifié à l’aide du signifiant, soit ce qui dans l’Autre, pour moi sujet, prend valeur de signifié […]

Séminaire 5 : [page 440] […] le signifiant de l’Autre en tant que marqué de l’action du signifiant [subverti par les mécanismes du langage], c’est-à-dire du A barré […]

Séminaire 6 : [séance du 08/04/1959] […] c’est ceci le grand secret : « Il n’y a pas d’Autre de l’Autre. »

Séminaire 6 : [séance du 15/04/1959] […] [le] signifié de l’Autre s (A) qui est […] la somme de toutes les significations telles qu’elles sont acquises par le sujet dans l’échange interhumain et le discours complet […]

Séminaire 8 : [page 319] le sujet désigne la place de la réponse, le [signifiant du grand Autre barré] qu’il attend du transfert […]

Séminaire 13 : [séance du 01/12/1965] […] la différence de l’énoncé à l’énonciation, ce qui est bien l’incidence, cette fois, du sujet qui parle en tant que tel, et non pas du sujet de la science […] la batterie du signifiant dont il s’agit d’assurer la prévalence sur ces effets de signification […] on va très loin dans l’élaboration des effets de langages puisqu’on peut y construire une poétique qui ne doit rien à la référence à l’esprit du poète […]

Séminaire 16 : [page 291] Dans le graphe que vous connaissez, le signe [sic] signifiant du grand Autre barré qui représente la réponse donnée par le grand Autre au terme de ce qui se pose au niveau de l’énonciation désirante, est très exactement la faille qui représente le désir.

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