Le stade du miroir initialise la première étape de l’identification signifiante du sujet.
Le concept de stade du miroir a été introduit par le psychologue Henri Wallon pour décrire le développement mental de l’enfant, d’après le comportement de celui-ci en face des images de lui-même et de sa mère reflétées par un miroir. Lacan a repris le concept de stade du miroir lors de ses communications aux congrès internationaux de psychanalyse à Marienbad en 1936, puis à Zurich en 1949. Un très grand nombre de travaux se basent sur le rôle du miroir pour formaliser plusieurs notions de la psychologie et de la psychanalyse classiques, telles que l’acquisition de l’image du corps, la structuration du moi, la relation à la mère en tant qu’Autre, le narcissisme primaire ou secondaire, etc. Dans la mesure où la relation intersubjective — qui est une relation duelle — se trouve être le thème principal de la plupart de ces travaux, nous préférons définir le stade du miroir sur l’assise d’une relation ternaire incluant le grand Autre en tant que lieu des signifiants, conformément au modèle de la demande qui parcourt les paliers de l’aliénation au langage dans le graphe du désir.
En se plaçant du côté de la dialectique signifiante créatrice du sujet barré, le stade du miroir marque le moment où l’enfant sait manipuler l’énoncé comme mécanisme basique du langage, c’est-à-dire lorsqu’il est capable d’utiliser explicitement la dénotation afin d’explorer son propre corps et ceux des autres. Le stade du miroir apporte la preuve de la division langagière entre le sujet et le corps, parce que la certitude du corps s’acquiert dès que le grand Autre permet de formuler symboliquement des représentations via des représentants.
Pour l’animal, il n’y a pas de stade du miroir. Les images sont des images ; elles sont incorporées dans l’engrenage des fonctions perceptives, et le corps est actionné par l’instinct qui se nourrit des images. Les observations en éthologie confirment le rôle essentiel de la forme, provenant de la perception visuelle du semblable, dans la maturation et le comportement des espèces animales — par exemple les mécanismes de l’ovulation chez la pigeonne.
Pour l’homme, par suite de l’intrication des catégories R.S.I. dans le nœud borroméen, les images sont forcément vues à travers le symbolique : « le passage de l’Imaginaire au crible du Symbolique » (Séminaire 21, séance du 19/03/1974). Le stade du miroir exprime une métaphore de cet entrelacement du nœud borroméen. C’est ainsi que l’image perceptive du corps, au lieu d’être banalement capturée par les automatismes d’un instinct naturel, vient au contraire — telle qu’elle apparaît dans le raccourci du narcissisme — se greffer au sein du symbolique par l’intermédiaire du moi qui est un signifiant parmi d’autres signifiants. Le langage effectue la synthèse du moi — en tant que représentant de l’image perceptive du corps — avec les éléments du corps structuré résultant de la dénotation, ce qui procure aux mécanismes de l’inconscient une représentation du corps comme un tout, rejoignant ainsi l’un des thèmes classiques des travaux sur le stade du miroir.
De l’infans au parlêtre
Références
Écrits : [page 69] Le stade du miroir donne la règle de partage entre l’imaginaire et le symbolique […] un moment qui n’est pas d’histoire mais d’insight configurant […]
Séminaire 3 : [page 101] […] la dialectique du corps morcelé par rapport à l’univers imaginaire, qui est sous-jacente dans la structure normale […] Cette structure [la structure du stade du miroir] fait d’avance du monde imaginaire de l’homme quelque chose de décomposé.
Séminaire 8 : [page 441] […] la fonction du signifiant est ici décisive. C’est grâce à elle que ce qui vient de ce champ ouvre au sujet la possibilité de sortir de la pure et simple capture dans le champ narcissique.
Séminaire 9 : [séance du 13/06/1962] Cette relation du miroir, pour être comprise comme telle, doit être située sur la base de cette relation à l’Autre qui est le fondement du sujet, en tant que notre sujet est le sujet du discours, le sujet du langage.