« Du sujet enfin en question », tel est le titre que Lacan emploie dans les Écrits (page 229), et que nous lui empruntons ici comme point d’inflexion pour scander notre exposé.
Après avoir mis en place les notions générales concernant la structure du langage, nous allons désormais situer l’être humain en tant que sujet dans cette structure. Nous commençons par définir la notion de sujet telle que nous l’employons dans l’ensemble de notre modèle.
Définition du sujet
De manière schématique, en débutant momentanément par une approche dualiste, on pourrait dire que le sujet est une entité composée d’une âme (ou esprit) et d’un corps. Assurément, ce ne serait pas une bien grande invention, puisque c’est en effet ce qui se dit communément dans les instances spirituelles ou intellectuelles : religions, philosophie, littérature, etc.
Cependant, notre démarche n’appartient pas à la spiritualité ni à la métaphysique, et ne veut pas non plus s’en tenir à un dualisme classique. Dans notre domaine, le sujet humain est une entité abstraite composée de deux parties et d’un opérateur. Le sujet désigne forcément une entité ternaire — un triplet, un ensemble de trois éléments.
La partie qui représente le sujet dans l’ordre symbolique (« le sujet de signifiant ») est le sujet barré. La partie qui reste dans le réel (« le sujet du signifié ») est l’être du sujet : Lacan appelle ce « résidu réel » l’objet petit a.
L’opérateur est le langage, la structure des signifiants que Lacan nomme le grand Autre. Le langage se positionne à la fois comme diviseur et comme lien. En effet, les deux parties du sujet humain (âme/corps, signifiant/signifié) demeurent toujours liées entre elles, précisément par le processus de la division qui les crée.
L’aliénation introduit une métaphore par rapport au sens juridique de l’aliénation (cession), notifiant que le sujet a cédé au grand Autre son propre désir et sa propre question. Assujetti au double volet de son ex-sistence et de son aliénation, le sujet barré commence à s’interroger sur le réel de son être. C’est bien sûr au niveau du grand Autre, en tant qu’opérateur, « que se pose la question ».
Sujet de signifiant et sujet du signifié
Références
Écrits : [pages 516-517] La place que j’occupe comme sujet de signifiant est-elle, par rapport à celle que j’occupe comme sujet du signifié, concentrique ou excentrique ? Voilà la question.
Séminaire 6 : [séance du 27/05/1959] […] le sujet est tout entier dans l’aliénation de la signifiance, dans l’aliénation de l’articulation parlée […] et c’est là et à ce niveau là que se pose la question.
Séminaire 10 : [page 137] […] la scène de l’Autre, où l’homme comme sujet a à se constituer […]
Subversion du sujet
Dans son enseignement, Lacan parle de « subversion du sujet » afin de souligner la différence entre la notion habituelle de sujet et la notion de sujet telle qu’il l’emploie. Le sujet lacanien n’est pas une autre façon de parler de la personne (« l’individu biologique »), et n’est pas non plus le sujet conscient de la philosophie.
La philosophie utilise depuis toujours le concept de sujet : « sujet de la connaissance », sujet de la conscience, sujet psychologique, etc. Par contre, le modèle lacanien manipule le concept de sujet d’une manière subversive vis-à-vis de la philosophie : le sujet constitue une entité ternaire créée par l’opération langagière de la coupure signifiante. L’être humain n’échappe pas à la structuration par le langage ; cependant, il en est proprement inconscient.
Le sujet n’a pas d’autre ex-sistence que celle des signifiants qui le représentent, ni d’autres relations que celles de ces signifiants avec d’autres signifiants. Il en résulte que l’inter-signifiance, désignant les interactions entre des signifiants (représentant peut-être des sujets), définit elle aussi une subversion du concept psychologique d’intersubjectivité.
Subversion du sujet
Références
Séminaire 17 : [page 53] Non, il n’y a rien de commun entre le sujet de la connaissance et le sujet du signifiant.
Écrits : [page 875] Véhiculé par le signifiant dans son rapport à l’autre signifiant, il [le sujet du signifiant] est à distinguer sévèrement tant de l’individu biologique que de toute évolution psychologique subsumable comme sujet de la compréhension.
Séminaire 8 : [page 439] […] le sujet n’est pas pour nous le sujet de la connaissance, mais le sujet de l’inconscient.
Séminaire 9 : [séance du 20/12/1961] […] une fonction qui est celle du sujet, non pas du sujet au sens psychologique, mais du sujet au sens structural.
Séminaire 10 : [page 104] […] le sujet ne saurait d’aucune façon être exhaustivement dans la conscience, puisqu’il est d’abord et primitivement inconscient, en raison de ceci, qu’il nous faut tenir pour antérieure à sa constitution l’incidence du signifiant.
Séminaire 16 : [page 66] [la subversion du sujet] Au sens où je l’avais épinglée et mise au titre d’un écrit, il s’agissait de subversion du sujet par rapport à ce qu’on en avait énoncé jusqu’alors.
Séminaire 20 : [page 33] D’une façon générale, le langage s’avère un champ beaucoup plus riche de ressources que d’être simplement celui où s’est inscrit, au cours des temps, le discours philosophique.