Question n°1 : Quel est notre postulat ?
Notre postulat — qui est exactement celui de Lacan — établit que les relations sociales — normales ou pathologiques — entre les êtres humains se déroulent par l’intermédiaire des fifis (les « signifiants » de Lacan) lorsqu’ils interagissent entre eux sur la surface du lalala (le « langage » de Lacan).
Ce postulat énonce une différence fondamentale entre les êtres humains et les animaux, en affirmant que le comportement des animaux est principalement basé sur l’instinct (la satisfaction des besoins, la sécurité, etc.), alors que les êtres humains ont une dimension supplémentaire et dominante, celle de la structure du lalala.
Bien sûr, cette distinction n’est pas absolue. Les êtres humains étant également des animaux, ils ont aussi l’instinct mais ce n’est pas le moteur essentiel de leur comportement par rapport au lalala, et même souvent les effets de l’instinct ne peuvent se manifester qu’en étant englobés par les mécanismes du lalala. À l’inverse, les animaux, en particulier les animaux domestiques, ont sans doute des bribes de lalala, mais cela se limite à des fragments : les animaux n’écriront jamais des romans ni des symphonies, ni ne construiront des villes ou des avions — toutes choses dont la réalisation est procurée aux êtres humains par la détention du lalala (ne parlons pas des abeilles ou des fourmis dont le comportement est entièrement instinctif dans le mesure où leurs constructions se reproduisent à l’identique depuis toujours).
De même, lorsque le discours freudien fait intervenir les effets de l’instinct (par exemple dans le domaine de la sexualité qui est essentielle pour Freud), il est dans l’erreur en ne montrant pas que tout cela n’est pas seulement instinctif comme pour les animaux, mais se déroule avant tout dans une autre dimension sur le plan des fifis et du lalala.
Question n°2 : Quels sont les mécanismes d’interaction sociale entre les sujets humains ?
Dans le postulat lacanien, les sujets humains sont représentés par des fifis qui sont en relation avec d’autres fifis pouvant eux-mêmes représenter d’autres sujets, ou bien le sujet lui-même, ou bien tous les éléments du monde — les mots ou n’importe quoi d’autre capable de jouer le rôle d’élément : un silence, un sourire, une expression, un regard, un ton de voix, une tenue vestimentaire, etc.
Tout en gardant en réserve l’idée d’établir — au cours d’une étape ultérieure — un lalala à « n dimensions » dans lequel les interactions pourront être décrites par des formules mathématiques, on peut déjà aller très loin en utilisant le postulat lacanien basé sur les interactions langagières entre signifiants, c’est-à-dire les « mécanismes du langage » : la métaphore et la métonymie.
Question n°3 : Comment agit la métaphore ?
Dans le langage, la métaphore est le « pas de sens », c’est-à-dire un moyen d’exprimer du sens en rebondissant d’un domaine nominal à un autre domaine nominal, sans que les deux domaines n’aient à priori aucun lien conceptuel entre eux.
Sur le plan social, la métaphore permet de s’échapper d’un paradigme limité en exprimant du sens inédit et imprévu. C’est le mécanisme de la poésie, de la musique, des arts en général, mais aussi de beaucoup de comportements d’émergence, de provocation, d’escapade, de rébellion, de marginalisation, ou de fuite.
Question n°4 : Comment agit la métonymie ?
Dans le langage, la métonymie a recours à des combinaisons de termes ayant déjà entre eux un rapport de voisinage d’un point de vue conceptuel.
Sur le plan social, en se fondant sur les similitudes et les ressemblances, la métonymie implique la soumission au conformisme en faisant apparaître des critères d’appartenance commune.
Question n°5 : Quels sont les effets de l’une et de l’autre ?
Dans la création artistique, la métaphore est une condition obligatoire de succès : Mozart, van Gogh, Victor Hugo, Sophocle, etc. ou même des chanteurs modernes comme Jean-Jacques Goldman ou d’autres.
Mais tous ces artistes n’ont été sous l’emprise de la métaphore que lors des étincelles de la création, alors que leur existence quotidienne n’a pas entièrement échappé à la métonymie. Malgré les fréquentes extravagances de Mozart, sa vie a souvent été banale et laborieuse face aux contraintes financières par exemple ; de même, malgré les prises de position politiques de Victor Hugo, le cours de sa vie a dans l’ensemble été relativement ordinaire.
Par ailleurs, bien qu’elle soit un critère nécessaire de création, la métaphore ne garantit ni la célébrité ni la fortune sociale : en effet, la plupart des très nombreux groupes pop des années 1960 ou punk des années 1980 sont restés inconnus.
Au contraire, en étant le mécanisme du conformisme, la métonymie a apporté la réussite sociale à ceux qui ont bâti des empires industriels pour répondre à la demande de toutes les personnes ordinaires. Si l’on peut quand même accorder une démarche métaphorique à Bill Gates dans sa création, ce ne sera pas forcément le cas de tous ceux à qui l’on reconnaît pourtant une superbe prospérité financière et sociale.
Question n°6: Des exemples ?
La Révolution française est un bon exemple.
L’Assemblée constituante de 1789 à 1791 est pleine de métaphores : le serment du Jeu de Paume, les réformes d’égalité devant la loi et devant l’impôt, la création des départements, les discours d’orateurs comme Mirabeau, Sieyes, Bailly, Lafayette, etc.
Au contraire, malgré l’étiquette « révolutionnaire », le Comité de salut public et le Tribunal révolutionnaire ont été en 1793 les instruments de la métonymie en envoyant à l’échafaud tous ceux qui en actes ou en paroles semblaient s’échapper du moule nécessaire défini par la Terreur et par Robespierre.
Question n°7 : D’autres exemples dans la politique récente ?
Terrain périlleux que celui de la politique. Un exemple toutefois, sans exprimer aucune prise de position, en citant les deux candidats à l’élection présidentielle de 2020 aux États-Unis : Joe Biden et Donald Trump.
Dans les actions de politique étrangère de Trump, malgré ou grâce à toutes ses incartades, on trouve chez lui un comportement métaphorique : il a négocié la sortie de l’Afghanistan, il a pu discuter avec Kim, il n’a pas ignoré la Russie.
Au contraire, la vie politique de Biden est empreinte de conformisme, de même que ses actes en tant que président : il a effectué la sortie d’Afghanistan mais péniblement et douloureusement, Kim n’a pas voulu lui parler, et face à la Russie il a choisi l’option de la guerre plutôt que celle des négociations.
Bien sûr, comme depuis le début de cet article, ce n’est pas un jugement de valeur. Ce ne sont que des observations pour illustrer le tempérament métaphorique et le tempérament métonymique. L’un et l’autre ont leurs avantages et leurs inconvénients.
On dira simplement que Mirabeau était d’un tempérament métaphorique, et Robespierre d’un tempérament métonymique. De même, on dira que Donald Trump est d’un tempérament métaphorique, tandis que Joe Biden est d’un tempérament métonymique.
En tout cas, au-delà de détenir la clé de l’accomplissement artistique, la métaphore peut aussi mener à des comportements de provocation considérés comme asociaux, tandis que la métonymie, tout en étant la source du ronronnement quotidien de nous tous, peut fournir un moyen efficace de réussite sociale.