La dernière fois, j’ai proposé un « modèle lacanien du psychisme » — en tant que modèle des interactions sociales entre sujets humains. Ce modèle vient se substituer à la métapsychologie freudienne dont il conserve toutefois le vocabulaire.
Aujourd’hui, il est indispensable de préciser sans attendre en quoi ce modèle est entièrement inédit, et d’expliquer clairement pourquoi — tout en suivant fidèlement les discours de Lacan — ce modèle se démarque ouvertement des thèses freudiennes.
Autrement dit, on peut le construire complètement à partir des textes de Lacan, mais il ne s’intègre ni dans les discours que l’on entend à propos de Lacan psychanalyste héritier de Freud, ni dans les théories de la psychanalyse en général.
J’examinerai brièvement les deux points suivants :
- Lacan et l’héritage freudien ;
- un modèle inédit du psychisme et des relations sociales.
Lacan et l’héritage freudien
Question n°1 : Pourquoi parler d’un « héritage freudien » ?
Parce que Freud est omniprésent dans les textes de Lacan et dans ceux de ses disciples.
Parce qu’on est étouffé quand on lit ou que l’on écoute Lacan ainsi que ses disciples, par toutes les références à Freud qui reviennent dans presque toutes les pages, ou bien par les explications qui se terminent toujours en citant Freud comme une sorte d’attraction irrésistible (La pensée de Jacques Lacan, Être lacanien aujourd’hui, etc.).
Mais Freud ne mérite plus ce rôle presque divin (Pour en finir avec Freud ?, Michel Onfray contre Freud, Les Icônes de la psychanalyse, etc.) qu’il s’est octroyé au début du vingtième siècle en créant la psychanalyse, puis en la verrouillant dans une démarche autoritaire et dogmatique.
Question n°2 : Où en est la psychanalyse aujourd’hui ?
La psychanalyse ne mérite pas davantage la place qu’elle a occupé depuis plus d’un siècle en tant que psychothérapie, ni la place dominante qu’elle occupait encore récemment en France dans la pratique psychiatrique (Le mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme, C’est en partie à cause de Françoise Dolto, etc.) ou bien dans l’enseignement de la psychologie (Regard scientifique sur la psychanalyse, etc.).
D’une part, l’efficacité de la cure psychanalytique a toujours été incertaine, voire nulle (La psychanalyse ne guérit pas, etc.). D’autre part, le modèle métapsychologique freudien — utilisé par tous les praticiens — est malheureusement bien souvent une généralisation abusive à l’espèce humaine des propres sentiments, perceptions, ou plaisirs érotiques de Freud lui-même (Le complexe d’œdipe, etc.).
Alors que Freud croyait faire une science, il s’est en réalité enfermé dans une pratique adaptative et normalisatrice qui assignait pour objectif à la cure l’acquisition d’une « maturité génitale prometteuse de satisfaction et de bonheur », seul critère d’épanouissement social selon Freud.
De nombreux auteurs (parmi eux Jacques Van Rillaer, ex psychanalyste, co-auteur du « Livre Noir de la psychanalyse ») ont démontré que la psychanalyse n’est pas une science (En finir avec la psychanalyse ?, Psychanalyse : une science ?, etc.).
En outre, le processus initiatique de la « cure didactique » — sur lequel repose la validation des psychanalystes — échappe à toute forme d’homologation universitaire, et aboutit évidemment à une sorte de cérémonial religieux ou à un rite sectaire.
La place de la psychanalyse est sans aucun doute un fait historique, mais aujourd’hui la métapsychologie freudienne et la cure psychanalytique sont devenues amplement obsolètes.
Question n°3 : Lacan était-il freudien ?
Lacan n’a jamais cessé d’entonner qu’il était freudien.
S’il lui est arrivé d’égratigner certaines formes de la pratique analytique, il l’a toujours fait en se prétendant plus orthodoxe que les orthodoxes de l’IPA … ce qui a fini par les irriter et les a décidés à l’exclure. Si en 1963-1964 il s’est plaint d’avoir été banni, il n’en était peut-être pas vraiment mécontent puisqu’il avait acquis la liberté de se proclamer plus freudien que les freudiens … ce qu’il a alors pu faire ouvertement.
Question n°4 : Pourquoi chercher autre chose que Freud dans les textes de Lacan ?
Parce qu’il y a un autre discours lacanien dans lequel les signifiants du langage représentent les sujets en interaction sociale. Cet autre discours apporte une dimension nouvelle, car il modélise les échanges entre sujets humains de la même manière que les mécanismes du langage gèrent les relations entre signifiants.
Les articles de ce site montrent que c’est dans ce sens qu’il faut comprendre la parole de Lacan.
Un modèle inédit du psychisme et des relations sociales.
Question n°5 : Comment ce modèle est-il apparu ?
Lorsque j’ai publié en 2009 la première version de ce modèle, j’avais pour objectif de décrire les concepts de la psychanalyse lacanienne comme on pourrait le faire en étudiant les éléments d’un système complexe. J’ai alors choisi de m’appuyer sur des diagrammes dessinés avec le langage de modélisation graphique UML (Unified Modeling Language) utilisé couramment en informatique pour spécifier l’architecture des systèmes.
[J’ai d’ailleurs décidé de conserver les diagrammes UML dans ce site, mais en leur accordant ici un simple rôle architectural et illustratif.]
Par contre, alors que ma démarche initiale restait encore dans le domaine de la psychanalyse, je me suis progressivement rendu compte que ce modèle du psychisme exprimait un point de vue beaucoup plus large que le point de vue thérapeutique.
En réalité, en mettant en évidence le rôle décisif des constructions symboliques pour l’organisation des échanges entre les êtres humains — « le lien social ne s’instaure que de s’ancrer dans la façon dont le langage se situe et s’imprime […] sur l’être parlant » (Séminaire 20, page 51) —, un pas en avant fondamental des théories lacaniennes a été de prouver que le psychisme humain n’est pas seulement un phénomène de la nature.
Question n°6 : Quelle est la place de ce modèle ?
On pourrait dire que ce modèle est lacanien … sans jamais être freudien.
En effet, le travail présenté dans les articles de ce site démontre qu’il n’est pas possible de suivre en même temps la trace de Lacan (dans son modèle où les sujets sont représentés par des signifiants), et celle de Freud (dans son modèle de la nature). À tout moment, marcher sur les pas de Lacan éloigne forcément de ceux de Freud.
C’est pourquoi ce modèle reconnaît sans hésitations être entièrement fondé sur les théories lacaniennes, mais il se tient volontairement à l’écart des doctrines de la psychanalyse classique.
En définissant pas à pas un ensemble de notions simples puis en les reliant logiquement entre elles, le travail de ce site modélise de façon cohérente la pensée construite par Lacan.
Quant au vocabulaire de la psychanalyse, on peut dire qu’il est passé dans le domaine public, et que l’on peut en utiliser les termes en leur donnant de nouveaux sens.