En parcourant les textes de Lacan, même si l’on rencontre plusieurs autres usages du terme vérité déterminés par le contexte, on revient de façon constante sur l’association entre le réel et la vérité. Dans le modèle lacanien, « la vérité tient au réel », ainsi que l’explique Lacan dans Télévision : « Je dis toujours la vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas. La dire toute, c’est impossible, matériellement : les mots y manquent. C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel. » … ou bien comme il le mentionne lors du Séminaire 13 : « tu n’en sauras rien quant à ma vérité. »
Lorsque Lacan dit « les mots y manquent » … pour dire toujours toute la vérité, il exprime le fait que la vérité désigne le réel dans sa complétude, tandis que les mots sont au contraire les éléments de la granularité incomplète du symbolique et du savoir. Les « manques » résultent des trous entre les mots, ainsi que l’énonce la formule lacanienne : « le signifiant fait trou dans le réel ».
Élément irréductible de la division
La vérité du réel est unique, intrinsèque. En incarnant « l’élément irréductible » de la division, l’objet petit a est le reste réel qui recèle la vérité du sujet. Cette autre partie du sujet, nous l’avons aussi appelée le corps dans une définition schématique. La vérité du sujet existait déjà dans l’ancêtre logique de l’objet petit a, le sujet antérieur. Au cours de la vie, elle transparaît enveloppée dans les symptômes qui reflètent des réponses à la demande du sujet.
Désir contingent du sujet
Pour parler de l’objet petit a, il serait insuffisant de le placer uniquement du côté du possible dont la tonalité passéiste ne montre pas l’espoir du sujet pensant qui voudrait retrouver des bribes de la vérité restée dans le réel. C’est pourquoi il faut aussi se tourner du côté du contingent, c’est-à-dire l’espérance de l’exception ou de la rencontre, et le fragile pressentiment que ce signifié du petit a — qui aurait pu être représenté par des signifiants — finira peut-être par devenir descriptible lors d’une itération suivante de la division, après tout pourquoi pas ?
Cet espoir correspond au désir pour le sujet barré, dans un fantasme d’unification avec son corps, d’être en mesure de combler le fossé qui le sépare de l’objet petit a.
L’objet petit a, en tant que réel, est « la cause du désir » du sujet et en soutient la permanence.
Angoisse du sujet
L’angoisse est l’autre face du désir. Si le sujet barré tentait d’évoquer la vérité qui résidait dans le sujet antérieur avant la division signifiante, il pourrait reprendre le chant du chœur de la tragédie Œdipe à Colone et dire : « Plutôt ne pas avoir été divisé, que d’avoir perdu ma vérité ! ». L’angoisse fait souffrir de la castration parce que celle-ci manie le bras tranchant qui ôte la vérité. Mais, en même temps, l’angoisse oublie que la castration signifiante équivaut à la division, et qu’elle signifie donc par la même occasion l’avènement au lieu du grand Autre.
L’objet petit a, en tant que reste réel de la castration, a pour effet l’angoisse du sujet.
Vérité de l’objet petit a
Références
Séminaire 14 : [séance du 01/03/1967] […] le reste [de la division] y est donné par un petit a qui en est l’élément irréductible.
Séminaire 6 : [séance du 29/04/1959] […] la marque sur l’homme de son rapport au Logos, c’est-à-dire la castration […] L’objet petit a du désir […] soutient le rapport du sujet à ce qu’il n’est pas […]
Séminaire 6 : [séance du 13/05/1959] Le petit a, j’ai dit que c’était l’effet de la castration. Je n’ai pas dit que c’était l’objet de la castration.
Séminaire 10 : [page 119] […] l’angoisse est sa [de l’objet petit a] seule traduction subjective.
Séminaire 10 : [page 266] […] la fonction du reste, qui soutient et anime le désir […]
Séminaire « Les Noms du Père » : [séance du 20/11/1963] L’angoisse est un affect du sujet […] du sujet qui parle […] affecté par le désir de l’Autre.
Séminaire 16 : [page 24] Si nulle part dans l’Autre ne peut être assurée la consistance de ce qui s’appelle la vérité, où donc est-elle, la vérité, sinon à ce qu’en réponde la fonction du petit a ?
Valeur de vérité de l’objet a
Le concept d’objet petit a appliqué dans le modèle du psychisme est un type abstrait de la modélisation servant à désigner le reste réel de la division et sa valeur de vérité.
Il n’est pas un type concret de l’objectivité usuelle qui manipule des objets comme valeurs d’échange dans la gestion des biens ou dans la morale utilitariste. De même, il ne peut pas être dévoyé pour dénommer quelque chose qui serait de la catégorie de l’objet dans une dialectique sujet/objet, ou bien dans une relation d’objet.
En outre, l’objet petit a n’est jamais l’objet d’aucune science.
« La notion d’objet petit a est externe à l’objectivité »
Références
Séminaire 10 : [page 103] […] ce dont nous avons à parler sous le terme petit a est justement un objet externe à toute définition possible de l’objectivité.
Écrits : [page 863] […] cet objet petit a est à insérer […] dans la division du sujet par où se structure […] le champ psychanalytique.
Séminaire 6 : [séance du 17/12/1958] […] cette valorisation, qui est également dévalorisation de l’objet, je veux dire arrachement de l’objet au champ pur et simple du besoin. C’est là quelque chose qui après tout, n’est qu’un rappel de la phénoménologie essentielle, de la phénoménologie du bien à proprement parler […]
Séminaire 8 : [page 290] L’objet véritable, authentique, dont il s’agit quand nous parlons d’objet n’est aucunement saisi, transmissible, échangeable. Il est à l’horizon de ce autour de quoi gravitent nos fantasmes. Et c’est pourtant avec cela que nous devons faire des objets qui, eux, soient échangeables […] Elle [la morale utilitariste] a un rôle fondamental dans la reconnaissance des objets constitués dans ce que l’on peut appeler le marché des objets.
Séminaire 19 : [séance du 02/12/1971] L’objet petit a n’est un objet qu’en ce sens qu’il est là pour affirmer que rien — de l’ordre du savoir — n’est sans le produire. C’est tout à fait autre chose que de le connaître.